"Il m’a fallu vingt ans pour arriver où nous en sommes aujourd’hui."
Pour réussir, il faut s’en donner le temps, et le chef Benoit Dewitte en sait quelque chose. « Aujourd’hui, on ouvre des établissements qui ont coûté des millions et doivent directement attirer les foules. Ils n’ont pas l’opportunité d’évoluer organiquement. Pourtant, la patience paye. Il m’a fallu vingt ans pour arriver où nous en sommes aujourd’hui. Notre concept a évolué du private dining à la cuisine raffinée en passant par le service traiteur et la table d’hôtes. Cela demande du temps. »
Des tons neutres dans toute la décoration, un tapis de laine chaleureux au sol, des bouquets de lavande au mur et, malgré l’aspect moderne et épuré, l’atmosphère authentique d’une ancienne ferme, avec des poutres au plafond, de grandes portes et un verger à l’extérieur. Dans le restaurant des frères Benoit et Bernard Dewitte à Ouwegem, au sud-ouest de Gand, tout respire la paix et la sérénité. Les frères eux-mêmes sont tirés à quatre épingles et leurs réseaux sociaux sont à leur image. Leur monde est-il donc exempt de chaos ? Benoit Dewitte sourit. « Nos parents nous ont appris la perfection. Tout doit être impeccable : des meubles aux œuvres d’art sur le mur en passant par la vaisselle sur la table. Mon épouse Géraldine est architecte d’intérieur : nous choisissons ensemble les textiles, les matériaux et les meubles. Nous avons un sens aigu de la décoration, réfléchissons aux combinaisons de couleurs et mettons un point d’honneur à créer l’ambiance voulue. Notre restaurant est une extension de nos propres vies et nos hôtes doivent s’y sentir comme à la maison. »
Benoit Dewitte a ouvert son propre restaurant à Ouwegem voici vingt ans, après avoir travaillé dans divers établissements en Italie et dans le sud de la France. « Il s’agissait au départ d’une table d’hôtes, avec un maximum de quinze couverts par soir et uniquement sur réservation. Ma cousine assurait le service en salle et j’étais aux fourneaux. Nous avons travaillé ainsi pendant sept ans. » Lorsque Gault&Millau a nommé Benoit Jeune Chef de l’année, tout s’est accéléré. En 2012, Benoit reçoit une étoile au Michelin, en 2018, il figure parmi les cinquante meilleurs chefs du monde et en 2019, il remporte le prix Gault&Millau du Plat de légumes de l’année. « Lorsque le Michelin m’a décerné une étoile, j’étais à Hong Kong en tant que chef invité. Je ne l’avais pas vu venir, malgré la folie douce qu’engendre une telle consécration parmi les clients et les autres chefs. Sur le bateau menant à un restaurant de Macao, j’ai soudain reçu une vague de messages de félicitations. Avec le recul, je regrette de ne pas avoir été en Belgique à ce moment-là. C’est tout de même un instant magique. Quand je suis revenu, l’euphorie était déjà retombée. »
Toujours en cuisine, Benoît est aujourd’hui renommé pour l’utilisation généreuse de légumes dans ses assiettes. « Les légumes se retrouvent dans presque tous nos plats, ou sont utilisés comme base et déclinés en différentes textures et composantes. Prenez ces mandarines : nous utilisons tout, de la chair à l’écorce. » La prédilection de Benoît pour les légumes, les fruits et les herbes aromatiques est née lorsqu’il travaillait dans un restaurant qui avait son propre potager et son propre jardin d’herbes aromatiques. « C’est depuis lors que je travaille de cette manière. Ceci dit, il m’arrive encore souvent de combiner des légumes avec du poisson ou de la viande : j’ai l’impression que c’est ce que nos clients attendent. Les légumes occupent une place de choix dans nos assiettes et nos convives y sont plus ouverts qu’il y a vingt ans, mais cela reste délicat. Pour prendre un exemple, nous mentionnons rarement le chou, les choux de Bruxelles ou les oignons sur le menu ou à table : les gens ne sont tout bonnement pas friands de ces saveurs. Et ils laissent fréquemment feuilles et verdure de côté, alors que nous avons soigneusement réfléchi à tout ce qui se trouve dans leur assiette. Ces feuilles vertes complètent le plat. » Les exigences alimentaires spécifiques, Benoît préfère les confier à son sous-chef, car il n’apprécie guère le fait qu’elles soient plus une question de préférence ou de goût qu’une véritable allergie. Benoît parle aussi avec dépit d’un plat constitué d’un oignon entier rôti, dont les quartiers sont remplis de tartare. « Il y a encore des gens qui mangent le tartare et laissent l’oignon ! J’estime que si vous venez manger chez nous, vous devez être ouvert à d’autres choses que les frites et les carbonnades. Il faut voir chaque plat comme un tout. »
En hiver notamment, Benoît aime aussi intégrer de la crème dans sa cuisine. Son art culinaire s’appuie fortement sur la tradition française, mais il puise son inspiration aux quatre coins du monde. « Je m’efforce de me perfectionner au fil des ans. Je voyage avec d’autres chefs ou je participe à des événements pour faire le plein d’inspiration. Trois à quatre fois par an, j’essaie de cuisiner ailleurs, en tant que chef invité, et nous accueillons régulièrement un collègue dans notre entreprise. J’étais à Bali récemment et, de retour à la maison, j’ai immédiatement commencé à travailler avec les herbes et les épices que j’ai découvertes là-bas. Parfois, je les ramène dans mes valises, parce qu’on n’en trouve pas ici, ou du moins pas facilement. »
Pourtant, d’après Benoît, rien ne vaut les classiques de la cuisine française. « Nous travaillons avec des bouillons de poisson et de viande, puis nous ajoutons de la crème et terminons avec un peu de beurre. Ce sont les meilleures sauces ! Au goût tellement intense et apprécié. Quand on sert des plats avec du bouillon, personne ne le termine. Mais si nous les préparons avec de la crème et du beurre, nos clients lèchent quasiment leur assiette. Cette prédilection gustative est ancrée dans notre culture. D’ailleurs, la crème n’est pas toujours synonyme de lourdeur. Si vous ne la fouettez pas trop et que vous lui ajoutez une autre dimension — avec de l’huile ou du vinaigre, par exemple — elle gagne en élégance. »
En parallèle, les frères soutiennent également plusieurs restaurants dans la région, comme le tout nouveau restaurant Merlesse, qui a ouvert en juin 2022 en Ardenne. À un jet de pierre du Domaine des Grottes de Han, l’hôtel 4 étoiles Mercure Han-sur-Lesse propose une expérience gastronomique au rez-de-chaussée. Benoit soutient la brigade de cuisine et compose le menu, tandis que Bernard fournit une carte des vins personnalisée. « J’avais besoin d’un projet de ce genre », explique Benoit. « Nous avons envisagé un deuxième établissement, mais avons finalement préféré apporter notre contribution à d’autres projets. J’aide également un ami qui gère des restaurants dans des espaces de coworking à Bruxelles, Paris et Eindhoven, pour développer un concept de lunch attrayant. Mais ce n’est pas évident. Indépendamment de vos talents culinaires, le succès dépend d’une multitude de facteurs. Le cadre et l’accessibilité jouent aussi un rôle important. »
« Réussir en tant que chef cuisinier, ça prend du temps, » précise Benoit. « Les investisseurs n’ont aucune patience : ils veulent que l’argent afflue tout de suite. Mais un bon restaurant se développe petit à petit. Vous devez apprendre à connaître vos clients et à exprimer votre touche personnelle. Aujourd’hui, nous sommes systématiquement complets, mais cela n’a pas toujours été le cas. Nous avons forgé notre réputation avec soin et tiré les enseignements de nos erreurs. Notre concept a évolué au fil des ans, ce qui nous a demandé beaucoup de patience. »
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