L'efficacité en pâtisserie : Les leçons de la crise de Ducobu
Bruno Van Vaerenbergh, conseiller culinaire chez Debic, a rencontré Marc Ducobu à Waterloo et lui a parlé des conséquences de la pandémie et de la crise énergétique actuelle. Découvrez l'interview via notre lien en bio !
Marc Ducobu est Ambassadeur du Chocolat belge et membre de Relais Desserts, une association internationale qui rassemble une centaine de pâtissiers de 19 pays, l’élite de la profession. Il tient la pâtisserie et chocolaterie Ducobu à Waterloo.
La situation que nous vivons aujourd’hui est bien différente de celle de l’an dernier, surtout en termes de coûts. Comment vous en sortez-vous avec les hausses de prix des matières premières ?
Marc Ducobu : « J’essaie de fixer mes prix le plus possible. J’ai ainsi négocié un prix fixe à long terme avec mon fournisseur de farine. Ou je fais des réserves. En août, j’ai acheté cinq tonnes de sucre par exemple. Le prix a doublé, mais je suis tranquille pour traverser la période des fêtes. Plus votre entreprise grandit, plus vous maîtrisez ce genre de choses. Je sais que je consomme dix tonnes de sucre par an, je peux donc faire mes calculs. Il faut toutefois de la place pour stocker les matières premières, et ce n’est pas gratuit. Une tonne, c’est une palette, je compte donc cinq palettes. Et je n’ai encore là qu’une seule matière première. »
« Ces prix sont restés assez stables. C’est surtout le reste qui coûte cher : les produits d’entretien, le savon. Tout a augmenté, ce ne sont donc pas mes réserves de sucre qui vont changer quelque chose. Entre-temps, nous avons augmenté les prix en boutique. Impossible de survivre autrement. »
Et qu’en est-il des coûts de l’énergie ?
« Nous avons un contrat fixe jusqu’en 2025. Nous sommes donc tranquilles pendant un petit temps. Nous avons réussi à conclure ce contrat l’an dernier et maintenant, nous en profitons. Mais certains boulangers qui travaillent avec des fours au gaz ont vu leur facture quadrupler, voire quintupler. D’ailleurs, chaque pays vit une situation différente. En France, par exemple, les pâtissiers sont également confrontés à un problème de carburant, que nous ne connaissons pas en Belgique pour le moment. Mais les perspectives ne sont pas très réjouissantes. Au fond, les deux ans de COVID ont été d’assez belles années pour les boulangers, les pâtissiers et les bouchers. Mais aujourd’hui ? Je ne sais pas trop. »
Ressentez-vous également la crise parmi vos clients ?
« Nous avons de gros volumes, mais des prix assez raisonnables. Je pense que notre secteur est encore épargné. La situation est différente dans les restaurants, où vous en avez directement pour plus de 100 euros si vous dînez à deux. Nos clients devraient pouvoir continuer à s’offrir une baguette et des couques le dimanche. »
« J’ai un bon personnel, je n’ai pas à me plaindre. Mais pendant la crise du coronavirus, nous avons eu trop de travail, les journées étaient trop longues et trop lourdes. C’est pourquoi nous avons décidé de fermer la boutique le lundi et le mardi. Aujourd’hui, j’ai une équipe qui travaille du mardi au samedi, et une autre qui prend le relais le dimanche. Certains boulangers ne trouvent pas de personnel. Moi, j’essaie de faire jouer mon réseau, de donner des interviews, de faire des démonstrations, de présider des jurys, de suivre des cours : et c’est payant. Les réseaux sociaux aussi, d’ailleurs. Nous avons près de 90 000 fans, donc quand je cherche quelqu’un, je trouve généralement assez vite. Être membre de Relais Desserts nous aide aussi bien sûr, lorsque nous sommes à la recherche d’un chocolatier par exemple. »
Utilisez-vous des produits de commodité pour limiter la pression sur le personnel ou tout est-il fait maison de A à Z ?
« Je travaille à la fois avec des blocs et des plaques de beurre. J’utilise les plaques pour le tourage et les blocs pour les autres préparations. Et nous avons bien sûr aussi des machines pour nous aider, comme des pistolets et des doseurs. »
En tant que membre de Relais Desserts, avez-vous le droit de travailler avec des produits de commodité ?
« Oui, chacun travaille à sa façon au sein de Relais Desserts. Les Néerlandais travaillent différemment des Belges, et les Belges font autrement que les Français. Tout est une question de philosophie. Nous partageons des idées, donnons des conseils, échangeons avec les collègues. Mais le plus important, c’est la qualité, du produit à l’emballage. »
Que faites-vous d’autre pour améliorer l’efficacité et limiter les coûts ?
« Je suis curieux de nature. Si le prix de l’électricité augmente, je vais me mettre en quête d’une solution, comme tout le monde. Mon électricien resserre les fusibles chaque année, par exemple. Ils se relâchent au fil du temps, parce que nous ne cessons d’allumer et d’éteindre les machines. Ce n’est pas grand-chose, mais ce sont des petits gestes qui comptent. Autre exemple : nous réutilisons le papier cuisson qui peut l’être. »
En tant qu’entrepreneur et propriétaire de la boutique, passez-vous plus de temps au bureau ou dans votre atelier ?
« Je préfère passer du temps dans mon atelier plutôt que dans mon bureau. Lorsque j’ai besoin de connaître le prix d’un cake, je demande à quelqu’un de faire la recherche à ma place. Je pense que je gagne vraiment du temps à ne pas tout chercher moi-même sur mon ordinateur. Aujourd’hui, nous sommes 22 à travailler. Ce matin, je suis arrivé le troisième. Ça aussi, c’est une force. J’ai travaillé dans des boulangeries où le patron n’arrivait pas avant 8 heures : il y avait parfois du relâchement et moins de concentration. Je préfère être à mon poste comme le capitaine d’une équipe, qu'être assis à mon bureau et absent. »
« Je le fais encore parce que c’est ma passion. Voilà 19 ans que nous existons, et je ne compte pas m’arrêter là. De plus en plus de 20-30 ans se spécialisent et se focalisent sur un seul produit, comme les éclairs ou les cupcakes. Mais cela ne peut pas durer des années. Nous faisons presque tout nous-mêmes. C’est un point faible, mais c’est aussi une force. J’accorde beaucoup d’attention à la Saint-Nicolas, à Noël, au Nouvel An, à l’Épiphanie, à la Saint-Valentin et à Pâques. L’an dernier, en janvier, nous avons produit près de 5 000 galettes des Rois pour un magasin, et le 2 février, nous avons fait 800 crêpes. Nous essayons aussi bien sûr de nous améliorer en permanence. Je réfléchis au rendement et aux coûts à chaque étape, par exemple. Un kilo d’amandes ? Mes conteneurs à déchets ? Le laveur de vitres ? Je sais ce que tout me coûte et j’y travaille constamment. »
Ces connaissances et cette expérience vous ont-elles amené à adapter votre assortiment ?
« Avant, nous proposions des cougnous belges de 150, 350 et 400 grammes, et des galettes des Rois pour quatre, cinq, six et quinze personnes. Nous avons arrêté. Nous préparons désormais un cougnou, une galette des Rois et, depuis décembre dernier, une bûche de Noël d’une seule taille. Nous proposons quatre goûts différents, mais la boîte est la même. Avant, nous avions trois tailles différentes et nous restions toujours avec des boîtes. Cela représente pas mal d’économies. Au niveau des emballages bien sûr, mais aussi en termes de préparation. Si vous vous limitez à une taille de tarte, le temps de cuisson est toujours identique. Nous évitons aussi les erreurs en boutique, puisque le prix est toujours le même. Et nos ventes n’ont pas baissé pour autant, que du contraire ! »
Dans cet article, de grands chefs parlent de leur vision d'une équipe performante.
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