Un coup du sort : comment la pâtisserie du chef néerlandais Maurice Petitjean est née d'un projet berlinois qui a mal tourné

Un budget serré, un immeuble anti-squat à Rotterdam et quelques tables et chaises bancales. Cette description ne colle vraiment pas avec des pâtisseries françaises parfaitement réalisées, direz-vous. Et pourtant, Maurice Petitjean nous prouve le contraire. Ses éclairs, ses croissants et ses tartelettes se vendent comme des petits pains et font fureur sur les réseaux sociaux. « Je crois que ce qui fait notre charme, c’est que nous n’avons pas de gros budget à consacrer à la décoration et au marketing. Nous misons tout sur le goût et sur le plaisir. »

Un coup du sort : comment la pâtisserie du chef néerlandais Maurice Petitjean est née d'un projet berlinois qui a mal tourné.

S’il le pouvait, il ne demanderait pas mieux que d’avoir un emploi fixe. Un salaire régulier, des jours de congé et le luxe de pouvoir se vider la tête en quittant son lieu de travail en fin de journée. Mais ce n’est pas une option pour Maurice Petitjean. Il doit réaliser de belles et bonnes choses pour les vendre à son public, exactement comme il l’a décidé. Et c’est ce qu’il fait. Dans une ambiance conviviale, avec des collaborateurs souriants et derrière une vitrine qui fait saliver les enfants (mais pas que…). Dans son établissement, baptisé « Le Petitjean », il propose des croissants surmontés d’une rosace de meringue au citron, qualifiés de « voluptueux » dans la presse nationale, ou qui laissent s’écouler un alléchant praliné à la pistache maison à la première bouchée. Sans parler des tartelettes bien trop belles pour être mangées et des éclairs à la simple vue desquels on se lèche les babines. La perfection parisienne est à Rotterdam et c’est un festival pour tous les sens.

Beaucoup de café, peu de sommeil
Beaucoup de café, peu de sommeil

La pâtisserie que le chef néerlandais Maurice Petitjean a ouverte, il la doit au plus pur des hasards. « J’étais parti pour me rendre à Berlin, au petit bonheur la chance. C’était une ville où j’avais envie de vivre. Mais je n’ai pas pu louer d’appartement là-bas à la dernière minute et j’ai donc utilisé le budget que j’avais prévu pour le déménagement pour ouvrir une pâtisserie. Je n’avais pas grand-chose : cinq mille euros pour aménager un local dans un immeuble anti-squat à Rotterdam et pour acheter mes machines et mes premiers ingrédients. J’ai sillonné la ville en vélo cargo pour dénicher des tables et des chaises de seconde main et j’ai racheté une vieille machine à café à un ancien employeur pour une bouchée de pain.

Le local était équipé d’un petit four : le four le plus nul que vous puissiez imaginer. Mais je me suis lancé. Au début, nous proposions quatre produits et lorsqu’ils étaient tous partis, nous fermions boutique. Dans mon souvenir, ces débuts rimaient avec beaucoup de café et peu de sommeil. Je me levais très tôt pour me mettre aux fourneaux, puis j’ouvrais pour vendre les produits et le café. Et lorsque tout était vendu, je retournais en cuisine et je recommençais. »

« J’ai tout appris par moi-même, surtout en regardant des vidéos sur YouTube et en faisant des recherches sur Internet. »

Viennoiseries et pâtisserie froide
Viennoiseries et pâtisserie froide

Les classiques français sont à l’honneur chez Le Petitjean. Croissants bien sûr, viennoiseries, tartelettes, éclairs, mais aussi pâtisserie française froide. « Proposer à la fois des viennoiseries et de la pâtisserie froide, c’est un véritable défi », avoue Maurice. « En plus, tout est fait maison. Nous n’utilisons pas de mélanges, de produits semi-finis, ni de composés. Je tiens aux saveurs pures. Il m’arrive de sortir un produit de l’assortiment pour calmer le jeu en cuisine, mais dès que nous avons une demi-heure devant nous, nous inventons quelque chose de nouveau. Nous ne nous arrêtons jamais ! »

Réseaux sociaux
Réseaux sociaux

Au début, Maurice a trouvé l’inspiration sur les réseaux sociaux. « Maintenant, avec les algorithmes, mon compte Instagram professionnel ne me montre que de la pâtisserie et des viennoiseries. Je vois aussi beaucoup de choses semblables, dans le même format. Lorsqu’un chef ou un pâtissier de renom lance une nouveauté, on ne voit plus que ça en plusieurs variantes. Je suis donc devenu un peu anti-réseaux sociaux. Ils ont allumé la flamme en moi, mais maintenant, je préfère trouver des idées par moi-même. » Le pâtissier rotterdamois n’a donc pas vu sa popularité exploser sur TikTok, où les jeunes partagent en masse ce qu’ils ont mangé de bon. Or il est bien suivi par près de treize mille personnes sur Instagram. « Je ne me suis pas donné de peine pour faire ma promotion et je n’ai pas organisé d’actions. C’est venu tout seul. Je trouve plus important de me concentrer sur mes produits que de publier des vidéos sur TikTok ou de fabriquer d’autres contenus artificiels. Chaque jour, je crée des produits qui, je pense, pourraient faire sensation sur les réseaux sociaux. Mais je n’y consacre pas de temps. » Pour la clientèle physique aussi, tout s’est fait de manière organique.

Le Petitjean

« Le Petitjean a ouvert ses portes en pleine pandémie de coronavirus et, avec le recul, la situation s’est avérée plutôt bénéfique pour nous. On ne pouvait proposer que des produits à emporter, et je n’avais pas encore de quoi acheter des tables et des chaises ! J’ai donc pu faire découvrir notre assortiment aux premiers clients. Un blogueur renommé de Rotterdam a écrit un article à notre sujet. Et comme tout le monde passait sa journée sur son téléphone pendant la pandémie, nous nous sommes rapidement fait un nom. Dès les premières semaines, on faisait la queue devant le magasin. »

« La pâtisserie de Petitjean est à encadrer. Les pâtisseries sont si belles qu’elles méritent une page dans Vogue. »

Maurice

Dans une autre vie, Maurice a fait des études d’art et de design, mais parallèlement, il a beaucoup travaillé dans l’horeca et s’est retrouvé sous-chef dans divers établissements. « Dans les mets froids, j’ai découvert la pâtisserie et les desserts. C’est là qu’est née ma passion pour ce métier. La pâtisserie, c’est très technique, et il y a toujours moyen de se perfectionner. Il en va de même en cuisine, mais si vous voulez atteindre un haut niveau, il faut viser le Michelin. J’adore les saveurs et les techniques qu’on retrouve en cuisine, mais pas forcément l’ambiance qui y est liée. C’est pourquoi je me suis tourné vers la pâtisserie.

Je n’ai pas suivi de formation en boulangerie, je suis autodidacte. J’ai tout appris par moi-même, surtout en regardant des vidéos sur YouTube et en faisant des recherches sur Internet. Chercher, essayer, tester, c’est ce que je fais au quotidien. Par exemple, je m’intéresse beaucoup à la fermentation, parce que ce processus donne de tout autres saveurs à certains produits. J’aime rechercher l’équilibre entre les classiques français et ce type de techniques innovantes. »

Gamme de prix
Gamme de prix

« La pâtisserie de Petitjean sort du lot. Les créations sont si belles qu’elles mériteraient une page dans Vogue », peut-on lire sur un site Web culinaire à propos de l’assortiment de Le Petitjean, dans lequel les viennoiseries jouent un rôle central. Il y a les douceurs sucrées, comme les pains au chocolat et les croissants fourrés à la crème de potiron. Mais Maurice s’essaie aussi aux snacks salés, avec du fromage bleu par exemple. La vitrine froide accueille la plus pure pâtisserie française : opéra, gâteau au citron vert et baba au rhum. Le paris-brest, grand classique, un chou rond fourré à la crème de noisette et de caramel, compte parmi ses préférés.

« Actuellement, nous ne proposons que des portions individuelles. J’aimerais pouvoir présenter de plus grands gâteaux, mais nous n’avons pas la place pour le moment. En plus, les portions individuelles sont plus intéressantes en termes de marge. » Maurice assume parfaitement les prix qu’il demande pour ses produits, qui sont élevés par rapport à ceux pratiqués dans d’autres boulangeries-pâtisseries néerlandaises. « Dans n’importe quel café, on vous vend facilement un croissant au beurre et à la confiture à quatre ou cinq euros. Or il y a de grandes chances pour que ce soit un croissant industriel. J’estime que nos prix sont réalistes pour des produits artisanaux cuits au beurre. Sur les réseaux sociaux, nous montrons le travail que nécessitent certains processus, le temps qu’il faut pour créer un produit et la quantité d’ingrédients de qualité que nous utilisons. Grâce à cela, les gens comprennent mieux nos prix. Cela étant, je n’éprouve pas le besoin de satisfaire tous les consommateurs. Si certains ne veulent pas mettre ce prix-là, il y a plein d’autres lieux en ville où ils trouveront leur bonheur. Une partie de Rotterdam apprécie mes produits et estime qu’ils en valent le prix : ça me suffit amplement. »

Projets d’avenir
Le Petitjean Bergweg 335, 3037 EP Rotterdam stationbergweg.nl/le-petitjean
Projets d’avenir

Début 2024, Le Petitjean a déménagé dans un local éphémère installé dans l’ancienne gare de Rotterdam Bergweg, au nord de la ville. La gare a été réaménagée en food hall complet, avec une large offre d’établissements horeca. Le public est un peu différent de l’ancien, mais Maurice voit encore une bonne moitié de sa clientèle s’asseoir à table. L’autre moitié emporte ses douceurs pour les déguster à la maison ou en chemin. « Beaucoup de nos clients habitent le quartier. Les familles passent nous rendre visite, surtout le dimanche. Cela fait partie de leur routine hebdomadaire. D’autres viennent s’installer ici en semaine pour travailler. »

Le Petitjean

À terme, Maurice espère acquérir son propre commerce. « Je suis en train de réfléchir au format idéal. Je penche pour un cafépâtisserie avec un plus petit assortiment à emporter. Un établissement avec service à table nécessite davantage de personnel et coûte donc plus cher, mais j’ai du mal à lâcher l’idée, parce que je la trouve tellement conviviale. Et puis j’ai tout de même l’âme d’un chef. J’aimerais bien proposer une petite carte à côté de l’assortiment sucré.

Je pense à un menu pour le temps de midi et, pour le soir, du vin, des cocktails et une petite carte de snacks. L’offre ne manque pas à Rotterdam, mais je n’ai pas encore trouvé ce type de café où il me plairait d’aller m’asseoir. Un endroit où vous pouvez aller manger un bon repas seul, accompagné d’un verre de vin, sans vous ruiner. Je crois que le public en a tout doucement assez du concept de shared dining ou de payer un prix exorbitant pour deux mini-snacks. J’entrevois un avenir pour notre pâtisserie dans un chouette format. » Maurice est bien conscient de son obsession pour son travail. « Il faut être un peu tordu pour se mettre à son compte et être prêt à prendre tous les risques. Je suis du genre à m’obstiner, ce qui n’est pas toujours facile, ni pour moi ni pour mon entourage. Mais c’est aussi cette obstination qui m’a permis de créer une entreprise unique et originale. Tout doit toujours être parfait pour moi. C’est tout ou rien. Y compris pour le sport ou dans ma vie privée. Et en général, ce n’est jamais assez. Je veux tout fois deux. Ce n’est qu’alors que je suis satisfait. »

 

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